Cours particulier improvisé

En ces temps de grèves et de revendications (que je soutiens !!!), les transports en commun sont bouleversés en région parisienne et de nombreux étudiants ne peuvent pas venir en cours à Paris.

Lundi, à Belleville, j’ai fait cours à … UN apprenant, alors que le groupe est constitué de 17 personnes.

Alors, on a improvisé.

On fait quoi, lorsqu’on n’a pas du tout prévu ça ? Un cours particulier, ça se prépare.

Le travail de préparation de l’enseignant n’a rien à voir pour un cours en groupe ou pour un cours particulier.

Alors, j’ai improvisé et ça a été très limpide, car l’apprenant en question avait très envie de parler. D’habitude, il est très réservé.

Il m’a parlé en continu pendant 45 minutes. Il m’a tout simplement raconté sa vie. Je n’avais rien demandé. Il a connu des moments difficiles, comme de nombreux apprenants de ma classe qui sont migrants économiques ou politiques.

Il m’a tout raconté, sans filtre.

Il refait une année dans ma classe, je le connais donc depuis un an et demi.

Un jour d’ailleurs, alors qu’on faisait la « météo des humeurs », (une sorte de « Quoi de neuf » à la Freinet, avec un indicateur d’humeur, des dessins et des phrases-types pour les orienter, que j’ai fabriqué), il a écrit une phrase très personnelle, que je n’ai pas publiée dans les Petits Livres de la classe plus tard, car il ne le souhaitait pas.

Il m’a parlé de difficultés de logement et de santé, entre autres.

Pendant qu’il parlait, je prenais des notes et je le reprenais quand je ne comprenais pas ses mots ou que la chronologie n’était pas claire. Mais c’est tout, je ne le reprenais pas plus, pour laisser le flux de paroles s’étaler.

Puis, je lui ai fait une proposition :

« Je vais taper votre texte à l’ordinateur (il y a des ordinateurs et une imprimante dans la classe), puis on va le lire ensemble. Pendant que j’écris à l’ordinateur, je vous propose, de votre côté, d’essayer d’écrire quelques phrases aussi. Ca vous va ? »

(Chers Freinétistes, oui, je vouvoie les apprenants 😉  simplement pour les amener à pouvoir gérer le « vous » dans des situations compliquées -préfectures, police, …)

C’était ok pour lui.

J’ai donc tapé et imprimé le texte. J’ai essayé de respecter sa parole le plus possible, en corrigeant les erreurs de syntaxe, de temps …

Il avait donc une partie de sa vie, rédigée à la première personne, en français, sous les yeux.

Il a lu ce texte et je reprenais sa prononciation. D’ordinaire, en classe, c’est une de ses principales difficultés : l’articulation.

 

Petit encart sur l’articulation : la langue française comporte 16 sons-voyelles, ce qui en fait une « langue-gymnastique » 😉

Les 16 sons-voyelles, (je préfère ne pas utiliser l’A.P.I., Alphabet Phonétique International ici, pas lisible pour tout le monde) :

a,

(â : de plus en plus rare),

an, e, é, è, i, in, o, ou, oi, on, u,

(un : pareil, de plus en plus rare),

o (« or »), eu (« heure »)

= et voilà, on est à 16 !

D’où la difficulté de nombreux apprenants à articuler correctement. J’essaye de les amener à étirer leur bouche, mais pour certain.e.s, c’est difficile (il faut savoir, par exemple, qu’en arabe, il y a 3 voyelles (et de nombreuses consonnes). Quand je fais le clown et des grands mouvements avec ma bouche et mes bras (pour accompagner le mouvement, ça aide), ils parviennent à se lâcher.

 

Puis, je me suis enregistrée en train de lire le texte et je lui ai envoyé sur whatsapp. Je lui ai proposé de le lire, de l’écouter et de l’écrire plusieurs fois à la maison.

 

Etre formée à la pédagogie Freinet m’aide beaucoup à improviser dans ce genre de situations et dans d’autres situations. 

Pourquoi ?

Car elle est basée, entre autres, sur la confiance en l’apprenant. Il a de nombreuses choses à raconter et c’est là-dessus qu’on va travailler. Pourquoi aller chercher des exercices dans un manuel quand on se retrouve, démunie, dans une telle situation ?

Les réponses sont en face de soi : l’apprenant est là avec son histoire, son vécu et tout ce qu’il a à dire.

 

Et je tiens à le préciser : la pédagogie Freinet n’est pas une pédagogie « laxiste et liberticide » comme je l’ai déjà entendu. Loin de là. C’est une pédagogie très structurée où les apprenants travaillent beaucoup et sont très actifs. Ce n’est pas parce qu’on ne leur donne pas 5 photocopies d’exercices, règles de grammaire, textes … par cours, qu’ils ne travaillent pas. 

8 commentaires sur “Cours particulier improvisé

  1. Bonjour Alice,

    Je suis formatrice en FLE / FLI dans un centre de formation pour adultes, j’enseigne également à un public d’adultes immigrés.
    J’ai découvert votre blog il y a plusieurs mois, et j’adore !
    Dès que je suis en manque d’inspiration je viens y lire (ou relire) quelques articles et c’est reparti !
    J’ai testé vos méthode à maintes reprises et je suis très satisfaite du résultat, mes apprenants aussi.
    Un grand merci pour ce travail de qualité que vous réalisez et que vous partagez.
    Excellente continuation !
    Edith

    J’aime

  2. Bonjour Alice,

    J’aime beaucoup partir des récits des apprenants, lorsqu’ils racontent ce qu’ils ont fait la veille ou le week-end.
    Selon le niveau, ils repèrent dans leurs phrases (simples et au passé-composé) des mots qui apparaissent plusieurs fois (je, suis, allé, j’ai…), pour cela ils utilisent une couleur différente pour chaque mot qu’ils entourent ou surlignent. Je vois la joie et la fierté dans leurs yeux, quand ensuite ils arrivent à reconnaître des mots et à lire leurs phrases !
    Pour ceux qui entrent dans la lecture, ils repèrent des graphies, toujours avec des couleurs.
    Pour les plus avancés, ils apprennent à systématiser la construction du passé-composé à l’écrit, entre autres.

    Lorsque nous revenons d’une sortie, nous faisons une affiche avec des photos sous-lesquels nous écrivons une légende ensemble.

    J’improvise aussi beaucoup car les récits d’apprenants sont une richesse que l’ont peut exploiter pour la lecture, l’écriture, la phonétique, la grammaire, le vocabulaire…
    Je rebondis souvent sur ce qu’un apprenant vient de dire, peut-être même un peu trop 😀

    Encore merci Alice pour votre travail !

    Edith

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  3. Bonjour Alice, j’ai écouté votre interview avec Marianne Viader, c’est vraiment passionnant. Tout ce que vous dites coule de source, quand on y réfléchit, partir de l’apprenant semble tellement logique … Je rebondis sur 1 de vos outils que je n’arrive pas à trouver sur le web : pourriez-vous me (nous) expliquer comment créer les cartes Météo des Humeurs ? Un grand merci.
    Esther

    J’aime

    1. J’ai créé une affiche « météo des humeurs » moi-même. Ça se présente comme un thermomètre avec tout en bas la pluie, la neige… et en haut le grand soleil, au milieu bien sûr des états intermédiaires. J’y ai ajouté des humeurs qui pourraient être similaires :  » Je suis content.e, … ça va, … bof, comme ci comme ça, ça va mais je suis fatiguée, je suis en colère…

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