Mardi 10 septembre 2019
C’est la rentrée à l’association.
DATE
Chandy arrive avec un peu d’avance. Elle écrit la date au tableau : 10/09/19.
“Alice, ça va comme ça ?”
“ Oui ça va, tu peux écrire en entier en-dessous ? “
“… ? ”
“Avec mardi et septembre ? ”
Elle cherche alors spontanément ces deux mots dans son cahier et dans le Mini-Dico.
DISCUSSION
Houjda, Lassana et Sophia arrivent. On se salue et on se donne des nouvelles.
Ils recopient la date sur leur cahier.
Je leur demande s’ils ont passé de bonnes vacances et s’ils ont un peu lu et écrit.
Lassana :
“Oui, j’ai lu de temps en temps.”
“Tu as lu quoi ?”
“Un livre … attends, je te montre…”
Je m’attends à un petit livre de poche, un livre prêté ou un livre de bibliothèque… il cherche dans son sac et, Ô surprise ! en ressort le livre qu’on a créé l’année dernière avec leur textes dits et/ou écrits : “Les textes de l’AFB”
“Tu veux bien nous lire un texte ? “
LECTURE
Il décide de lire le premier texte : “Mes parents”. C’est un texte dit par Karima à propos de ses parents.
Les autres écoutent, puis décident de sortir leur livre, à leur tour, pour suivre la lecture.
Le texte évoque leurs problèmes de santé. On y trouve des termes médicaux : “reins”, “coeur”, “dialyse”.
Je leur pose des questions sur le sens du texte, puis on explique les termes médicaux ensemble : “C’est quoi les reins ? C’est quoi le coeur ? C’est où ? Ca sert à quoi ?”
N’être jamais allé à l’école n’implique pas seulement ne pas savoir lire et écrire. Cela implique ne pas savoir de nombreuses choses sur le monde qui nous entoure en général.
Être analphabète, illettré, c’est être coupé d’un bon nombre d’informations parce qu’on n’a pas eu la formation de base, enfant ; mais aussi parce qu’on en est privé, adulte.
CULTURE GENERALE
Ainsi, je leur montre un poster – que j’ai créé à l’occasion d’une rencontre avec une diététicienne l’année dernière – montrant l’intérieur du corps humain et l’incidence de certains aliments sur nos organes et donc notre santé.
(je le reconnais, les gros morceaux de viande, c’est très omnivore-centré 😉 j’ai retranscrit ce qui avait été dit pendant cette discussion)
J’explique chaque organe et leur fonctionnement. Ils sont très curieux et aimeraient en savoir plus. Ainsi, je me demande si je ne pourrais pas leur montrer les DVD “Il était une fois la vie”. Seul souci, ils sont destinés aux enfants et risqueraient de les infantiliser. Mais, en même temps, le corps humain est très bien expliqué dans ces DVD. Décidément, rien n’est fait pour les adultes illettrés et analphabètes … Alors, je me questionne … Que leur montrer ?
LECTURE
“Est-ce que quelqu’un veut lire aussi ?”
Chandy propose de lire le texte “Le film Nos batailles” (vu l’année dernière ensemble, au cinéma). Sophia, à l’origine de ce texte, suit du doigt, un peu difficilement, chuchote les mots qu’elle parvient à lire et esquisse un sourire quand son nom est prononcé à la fin du texte.
ECRITURE
“Alors maintenant, on va écrire un peu. Vous allez prendre votre cahier et écrire ce que vous voulez.”
Silence, interrogations. Ils sont peu habitués au texte libre. Je les ai peu habitués l’année dernière, peu sûre de moi dans cette technique. Cette année, j’ai décidé de me lancer, même avec les plus débutant.e.s. Cette année, j’ai décidé d’individualiser encore davantage, de faire moins de textes collectifs et plus de textes individuels, motivée par les conseils de mes ami.e.s Freinet et du Congrès en août.
“Vous allez écrire des mots que vous connaissez, des choses que vous avez dans la tête, des mots que vous voyez sur les murs, dans votre cahier ou dans le livre des textes de l’année dernière. Juste une chose : si vous recopiez des mots que vous voyez, il faut pouvoir les relire à tout le monde après. Vous pouvez penser à quelques chose, puis chercher les mots dans les différents documents.
Quand vous ne savez pas comment écrire un mot et que vous ne le trouvez pas, vous laissez un blanc ou vous faites une ligne”
Je les laisse une quinzaine de minutes.
Puis, chacun lit ce qu’il a écrit.
Ensuite j’explique un nouvel entraînement, appris au congrès Freinet cet été, pendant l’atelier “Texte libre et travail sur la langue”.
“ Je vais écrire vos mots dans votre cahier et vous allez les recopier, chacun, cinq fois. Deux fois en regardant et trois fois en cachant.”
Houjda a recopié des mots du mur et de son cahier.
Chandy m’a demandé d’écrire “Aujourd’hui, j’ai accompagné mes nièces à l’école.” Elle a entendu Lassana dire sa phrase avec “aujourd’hui” et ça l’a inspirée.
Lassana a pris des initiatives seul. Il a cherché dans ses documents comment écrire “aujourd’hui” et “école”.
Il a besoin de travailler sa graphie alors je lui donne une ardoise et lui montre le sens du tracé de certaines lettres.
Ils s’entraînent tous méticuleusement.
ANALYSE ENSEMBLE
Après on en discute.
“Alors, qu’est-ce qui s’est passé pendant l’entraînement ? ”
Chandy :
“ Ca travaille la tête.”
« Ok, on fera toujours comme ça : le mardi, on va parler, puis lire, puis écrire. Le jeudi,on va travailler sur ce qu’on a dit, lu et écrit le mardi. Ca vous va ?”
Ils acquiescent, attentifs.
“Oui, ca va bien nous entraîner.”
“Si vous avez un peu de temps, à la maison, vous pouvez réécrire ces mots dans votre cahier.”
Jeudi 12 septembre
Avant l’arrivée de tout le monde, j’écris les phrases de leur texte libre de mardi, au tableau :
Aujourd’hui, je suis allée à l’école.
Aujourd’hui, je suis allée accompagner mes nièces à l’école.
Aujourd’hui, je suis allée chez Malika.
Je m’appelle Sophia.
Je répertorie les analogies de mots ou de syllabes, sur mon cahier, à travailler plus tard :
JE SUIS : Je suis à l’école. Je suis allée …
JE : je m’appelle, je suis
UI : je suis, aujourd’hui
A : allée, accompagner, je m’appelle, Sophia, Houjda, Malika, Lassana
I : aujourd’hui, je suis, nièces, Malika, Sophia
OU : aujourd’hui, Houjda
LECTURE
Quand ils arrivent, je leur demande s’ils veulent lire.
Chacun essaye de lire une phrase.
Un nouvel étudiant vient d’arriver : Oussama
J’écris son prénom au tableau et demande aux autres à quels prénoms il ressemble.
« Houjda », » Lassana »
Je pose quelques questions à Oussama :
“Tu as déjà appris à lire ?
- Oui, un peu, avec ce livre (la méthode Boscher, méthode purement syllabique, pour enfants)
- D’accord, ça t’aide ?
- Oui, je me concentre beaucoup pour lire les lettres. Maîtriser les lettres, c’est la base.
- D’accord, d’accord. (je ne lui exprime pas mon point de vue pour l’instant).
- J’apprends aussi avec une vidéo Youtube. C’est ça. (il nous montre) C’est Yannick Sayer. » (plus tard, à la fin du cours, il me montrera les vidéos …).
Chandy connait : « Oui, c’est bien ça, pour bien connaître l’alphabet.”
COMPRÉHENSION
Je leur pose des questions sur les phrases du tableau.
Pas de soucis, tout est compris.
COPIE
“Donc, maintenant, vous allez copier ces phrases.”
Ils s’y mettent, chacun.e à leur rythme.
Lassana au bout d’un moment :
“C’est fatigant, pourquoi on recopie encore ?
On a déjà écrit mardi.”
Lassana est fâché avec l’écriture. C’est laborieux pour lui. Je sais qu’il faut que je m’attelle à lui préparer des exercices de graphie et que je passe du temps avec lui pour qu’il trace dans le bon sens.
« Hey bien, Lassana, d’accord, c’est ton point de vue. Je vous le demande à vous tous, pourquoi vous recopiez encore ?
-Ah bon, ok, comme tu veux Alice.
– Ben non, pas comme je veux Lassana. Les autres, vous en pensez quoi ? »
Chandy : – C’est pour nous entraîner.
Lassana : – Bon d’accord.”
/ A la fin du cours il dira : “Ouh la la, c’était dur, j’ai mal au dos. Mais c’était bien, on a bien travaillé. “
(Est-ce que c’est bien d’avoir mal au dos à la fin du cours ?
Est-ce que ça veut dire qu’on a bien travaillé ??? je me le demande, je vous le demande …)
LES ANALOGIES / C’EST COMME
Je leur explique le système.
“On va regarder dans le texte les choses qui sont pareilles. On l’a fait l’année dernière. Pour cette fois, la première fois de l’année, j’ai commencé le travail, pour vous montrer. Qui a son carnet de l’année dernière ?”
Houjda, Sophia et Chandy le sortent.
Je leur explique qu’on va faire un index pour s’y retrouver plus facilement, avec les numéros de pages.
Pour cela, il faut numéroter les pages. C’est déjà un énorme exercice de repérage et de concentration, dans lequel Houjda a quelques difficultés. Elle oublie des chiffres et saute des pages. Alors on reprend ensemble.
Avant le cours, j’ai préparé un cahier avec les analogies de leurs phrases. Pendant que Sophia finit de recopier les phrases du tableau, je tends ce cahier à Lassana et Oussama, qui n’ont pas de petit carnet, et qui recopie donc dans leur cahier, provisoirement.
Pendant ce temps, Houjda et Chandy numérotent leurs pages et font leur index à partir des analogies de l’année dernière.
La séance se termine tranquillement. Chacun, chacune, à son rythme, recopient les analogies. Chandy et Houjda complètent les catégories déjà commencées l’année dernière (A, I, OU) avec les nouveaux mots.
Alors que tout le monde est parti, Oussama me montre les vidéos avec lesquelles il a appris les lettres. On voit une main tracer des syllabes : “be, ce, de, fe, ge … we” et les prononcer en même temps. Déjà que cette vidéo ne me plaît guère /mais je me retiens/, là je tique : “Alors en fait, Oussama, “we” ça n’existe pas en français. Le Monsieur dit “ve”, mais ce n’est pas ça, à la limite on dirait “ouheu”(si je puis transcrire comme ça). En plus “we”, ça vient de l’anglais, comme dans “week-end”.
Oussama m’écoute calmement et je comprends son attachement pour cette vidéo. Ca le rassure, le structure.
J’aimerais voir s’il lit des petits textes alors je lui tends le livre que Lassana a sorti deux jours avant, à la rentrée.
Je l’observe. Il passe son doigt sur les lettres et avant de tenter de lire chaque mot, il l’épelle.
A force de répéter l’alphabet, ça le bloque. Il est bloqué par le nom des lettres.
Il réussit à lire des petits mots comme “de”, mais les autres sont trop difficiles.
A suivre …
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Chères lectrices, chers lecteurs,
J’aimerais beaucoup avoir vos avis sur l’application de la pédagogie Freinet et de la MNLE avec des adultes en alphabétisation.
J’aimerais aussi savoir comment vous vous y prenez quand un apprenant tient absolument à s’entraîner avec le méthode Boscher à la maison et à recopier des syllabes qui n’ont pas de sens.
Merci !
Merci, Alice, beaux moments d’apprentissage.
Pour l’écriture de la date, quand Françoise te demande “Alice, ça va comme ça ?”,on peut bien sûr comme tu l’as fait donner un feed-back immédiat mais il est souvent plus intéressant de répondre quelque chose comme « Et toi? Tu penses que c’est juste? », pour qu’elle explicite ses critères et cesse de dépendre de toi pour l’évaluation. cela te permettra de voir si elle a des critères et lesquels.
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J aime bien vous lire
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Bonjour, je suis tombée un peu par hasard sur votre blog et j’ai pris plaisir à en lire quelques pages. Je suis moi-même instit’ depuis 6 ans et j’ai été prof de FLE avant pendant 10 ans. Ma pratique en FLE m’inspire souvent en classe ordinaire, d’autant qu’il y a de plus en plus d’enfants qui ne parlent pas français. Bravo pour votre engagement et merci du partage. Et sinon, on peut se détacher très facilement du formatage une fois dans une classe…., les pratiques Freinet et autres, se multiplient à l’école publique.
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Bonsoir, j étais sur le point de dormir quand j ai découvert votre site …. j adore, je like ! Je m imaginé déjà appliquer vos conseils …
Formatrice depuis peu ‘ j ai une expérience auprès d apprenants adultes a1… je ferais certaines activités autrement désormais… bref … une pépite qui sent l investissement personnel , la bienveillance , le souci de bien faire pour transmettre un maximum … merci pour votre humilité et votre partage d experiences.
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Merci, ça fait vraiment plaisir.
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