16h-18h. Belleville. Niveau A1.2/A2.1 (FOA 3, peu scolarisés, niveau intermédiaire à l’oral)
Aujourd’hui, c’est la rentrée. Après deux semaines de vacances. Seulement deux étudiants sont présents alors qu’ils sont d’habitude une dizaine. Que s’est-il passé ? …
Ont-ils oublié la date de rentrée ? Ont-ils été perdus entre le jour de rentrée et le jour férié demain, mardi 1er mai ? Bref, nous commençons le cours avec Antonio et Sylvia. Antonio est brésilien-portugais en France depuis cinq ans et Sylvia est portugaise, ici depuis cinquante ans.
Je leur présente la première page du récit de voyage en auto-stop, auto-édité, d’un étudiant, Cyprien Desrez, jusqu’en Allemagne, sans argent ni téléphone.
Je leur donne aussi une petite liste de questions simple : c’est qui ? c’est où ? …https://www.ouest-france.fr/normandie/caen-14000/caen-il-voyage-en-allemagne-sans-argent-ni-telephone-5573838
D’habitude, je les laisse travailler un peu seuls pour qu’ils puissent prendre le temps de réfléchir et de prendre le temps de comprendre. Mais là, ils ne sont que deux et c’est la rentrée, alors je ne peux m’empêcher de les orienter. En plus, ils ont l’air perdu, comme s’ils n’avaient pas lu de textes français pendant les vacances. Finalement, je leur annonce que je vais m’éloigner un peu d’eux car je ne peux m’empêcher de les aider.
Je les laisse travailler seuls pendant 10 minutes. Il parviennent à répondre aux questions.
Antonio commence à analyser ce voyage en auto-stop sans argent ni téléphone :
- » C’est une façon de réfléchir… introspection … (avec accent brésilien, donc c’est sans doute aussi un mot portugais) «
- » Oui, voilà, c’est une réflexion philosophique. Sur quoi ? »
- » Sur les gens. » Je leur demande d’imaginer comment Cyprien peut se loger et se nourrir. Sylvia voit très juste sans même avoir lu le livre.
- » Il va demander aux gens, il discute … il propose ses services aux restaurants … »
- » Hey oui, bravo ! Vous avez deviné Sylvia. «
- » C’est ce qu’on disait avant : tu n’as pas d’argent, vas dans la cuisine ! ah ah ! » Ce récit les intéresse. Je leur donne donc les deux pages suivantes à lire à la maison. Nous finissons le cours à manger le gâteau qu’Antonio a amené pour son anniversaire. Je me permets de lui demander si ses soucis de logement sont réglés. Malheureusement, son dossier a été refusé par l’agence car il n’a pas de garant. Il est hébergé chez une amie, mais il a bon espoir de trouver un logement en allant voir d’autres agences.
18h45-20h45. Strasbourg Saint Denis. Niveau 1 (FOA L1 / peu scolarisés antérieurement, débutants à l’écrit))
Quatre étudiants sont présents ce soir : Ahmed M. – soudanais, Ahmed El- égyptien, Orlando – colombien et Kumail – pakistanais.
Je leur demande de rappeler ce qu’on a fait avant les vacances.
Silence.
J’attends. » Vous savez, ici c’est vous qui travaillez, pas moi. » -avec un petit sourire.
J’essaie de ne jamais oublier que moins je parle, plus j’attends, plus ils parlent. Cela semble simple, mais en tant que prof, on a souvent tendance à croire qu’on doit être très actif, parler beaucoup, écrire beaucoup … bref donner beaucoup. Je pense que c’est plutôt le contraire. Ils peuvent entendre et lire du français à longueur de journée finalement, mais ont-ils l’occasion d’écrire et de parler dans leur vie quotidienne ? La mémoire revient.
- » On a écouté un dialogue sur la Poste. «
- » Oui, très bien. Qu’est-ce qui se passe dans le dialogue ? «
- » La dame va à la Poste pour chercher un colis … «
- » Oui … et … ? «
- » Mais c’est pas un colis, c’est une lettre recommandée. «
- » Oui, très bien. Qu’est-ce qu’il demande l’employé ? »
- » C’est quoi ‘l’employé’ ? »
- » C’est la personne qui travaille dans cet endroit. »
- » Ah d’accord, alors je peux demander dans un magasin : Vous êtes employé ici ? «
- » Oui. «
- » L’employé -prononcé difficilement- demande une pièce d’identité. La dame, elle a son permis -prononcé difficilement- de conduire. «
- » Oui voilà. Et après ? »
- » Euh … «
- » Qu’est-ce qu’elle demande ? «
- » Des timbres. »
- » Combien ? »
- » euh … un ? »
- » Un carnet de timbres. »
- « C’est quoi un ‘carnet’ ? »
- » C’est ça. Il y a douze timbres. » Je montre un carnet extirpé de mon porte-monnaie.« Maintenant, nous allons écrire l’histoire de cette dame qui va à la Poste.»Je dessine alors au tableau une dame qui va à la Poste.
Chacun écrit sur son cahier de brouillon./ Une dame va à la Poste. Elle va chercher un colis. Mais, ce n’est pas un colis, c’est une lettre recommandée. L’employé demande une pièce d’identité. Elle a son permis. Elle demande un carnet de timbres pour la France et deux timbres pour le Sri Lanka. /C’est une réussite. BONHEUR 🙂
- « Maintenant, vous allez venir écrire votre adresse au tableau, comme sur une enveloppe. » Ahmed M. écrit l’adresse d’une association. Ahmed El. connaît. Il lui demande s’il est hébergé là-bas. Ils parlent tous les deux arabe, mais ils communiquent en français dans la classe. Ahmed M. lui explique que c’est juste pour recevoir son courrier, qu’il n’habite pas là. Kumail écrit le nom de sa rue avec quelques hésitations et Orlando trace les lettres de son adresse d’une belle écriture.
- » D’accord, parfait. Maintenant, voici des enveloppes. Ahmed El., vous allez envoyer une lettre à Orlando, Orlando à Kumail, Kumail à Ahmed M. et Ahmed M. à Ahmed El. D’accord ? » Ahmed M. connaît bien les notions d’expéditeur et de destinataire et explique à tout le monde.
- « Oui, super Ahmed. » Les adresses sont un peu décentrées mais très bien écrites. S’en suit une longue conversation, sans que je comprenne comment elle arrive, sur les difficultés d’ouvrir un compte en banque quand on est sans-papiers. Ahmed El. exprime son ras le bol et les difficultés qu’il a.
- » A la Banque Postale, d’abord c’était non. Après, ils m’ont demandé beaucoup de documents. Après deux mois, c’était oui. Mais le problème … j’ai pas de carte Visa. Moi j’aimerais avoir une carte Visa. Alors j’ai demandé mais, j’attends … franchement Alice j’en ai marre moi. «
- » Aaaah, vous en avez marre de quoi Ahmed ? »
- » J’en ai marre de tout, la banque, le travail … »
- » Vous voulez repartir ? »
- » Je sais pas, c’est trop compliqué en Egypte. C’est le Président Sissi, il est pas gentil. »
- » Ah c’est un militaire ? » Ahmed ne comprend pas.
- « C’est l’armée ? » Il ne comprend toujours pas, mais répète que Sissi n’est pas gentil. Ahmed M. enchaîne :
- » Au Soudan aussi. C’est une dictature. » Ahmed El :
- » C’est qui le Président ? »
- » Tu connais pas ? Alice, vous connaissez pas ? «
- « Euh, non … je ne connais pas les Présidents des pays de tous les étudiants en fait. » Sourires. Kumail enchaîne aussi :
- » Au Pakistan aussi, pas gentil. Corruption. » Seul Orlando garde le silence et écoute.