Comment je me suis mise à enseigner sans manuel ni programme. Chapitre IV : comment j’ai pas appris l’arabe

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Il y a quelques années, j’ai voulu apprendre l’arabe.

Pourquoi ?

J’ai un faible pour la langue arabe depuis plusieurs années.

Les raisons sont multiples : mon coup de foudre pour le Maroc quand j’avais 15 ans en voyage avec mes parents, la nourriture, la musique arabe, les sonorités de la langue, tout l’imaginaire autour de la culture arabe (Haroun, humoriste dont j’apprécie beaucoup l’humour et l’intelligence, doute qu’il y ait un « monde arabe », mais y a t-il une « culture arabe » ? voir le sketch ici).

Et qui dit culture, dit langue.

Elles sont étroitement liées.

Mais surtout, pour couronner le tout : les étudiants égyptiens présents en nombre dans mes cours lors de mes premières années aux cours municipaux d’adultes de la Mairie de Paris, ma rencontre avec leur culture, les entendre parler arabe …

et peut-être la distance entre ma culture (franco-française, judéo-chrétienne, nordiste, normande, blanche et blonde) et celle-ci, donc une attirance … qui sait ?

En tous cas, voilà, il y a un truc. D’ailleurs, quand j’ai décidé de partir travailler à l’étranger après mon échec au concours d’instit (chapitre III) j’ai hésité entre partir dans un pays arabe ou vers le grand Est. Bon, ok, j’ai flippé en tant que française-blanche-blonde-nordiste-normande-judéo-chrétienne de 25 ans, alors je suis partie en Russie (pas moins flippant pour certain.e.s).

Qui sait, plus tard ou dans une autre vie … ?

En attendant de partir peut-être un jour y habiter, je me suis décidée à apprendre cette langue …

… et quel fiasco !

AAAAAAh là revoilà, de retour, Alice qui critique !! Mais je n’y peux rien, je vous assure, j’aimerais tellement m’émerveiller devant un cours de langue auquel j’ai participé (prochain article tout de même) … mais là … non 😦

Alors je vais vous raconter pour essayer d’analyser un peu ce qui fait un cours de langue vivant ou … mort.

Je vais alterner récits de ces cours et transpositions au FLE.

Cela pourra aussi orienter les professeurs de langue (FLE ou autre) qui débutent. Je ne nommerai ni la structure ni le prof, c’est inutile, là n’est pas le propos. Je ferai ce récit au présent, même s’il a eu lieu il y a plusieurs années.

Premier jour

Le prof, en France depuis une dizaine d’années, est bilingue, parfaitement arabophone et francophone.

Il nous fait d’abord une présentation de la langue arabe avec une cartographie où elle est parlée, ses origines …

mais pourquoi ????

On n’est pas venus pour ça, on n’est pas à l’université, on n’est pas à l’INALCO ni aux Langues Orientales ou que sais-je ?

Alors qu’il décrit les pays arabophones et les diversités géographiques de la langue (arabe maghrébin, arabe libano-syrien…) mes camarades de classe notent tout scrupuleusement. Mais pourquoi ?? Moi, je ne note rien. Je suis dépitée. Je me suis inscrite pour apprendre à parler une langue et j’assiste à un cours sur ses origines. Intéressant en soi, mais là n’est pas le problème.

Je ne veux pas entendre du français, je ne veux pas parler français, je veux entendre de l’arabe et parler arabe.

On apprend une langue en la parlant, pas en l’analysant dans tous les sens *.

On apprend à faire du vélo en pédalant.

Et comme diraient aussi les Freinétistes (pédagogues Freinet) on apprend à écrire en écrivant, pas en faisant des exercices et en décortiquant la langue *. Etc … les métaphores sont nombreuses. Comment on apprend à bricoler ? et à cuisiner ? et à jardiner ? à marcher ? à parler sa propre langue ?

*évidemment, si, un peu, mais pas majoritairement, et pas dans un premier temps, bref … point à développer.

Donc, ce n’est pas ça qui est écrit dans le descriptif du cours (que j’ai bien lu).

// Parenthèse sur ces étudiants.

Quel est le profil-type de ces étudiants ? Soit des curieux de la langue sans aucun lien avec elle (moi), soit des Français d’origine maghrébine parlant un peu l’arabe du Maroc, de Tunisie ou d’Algérie, souhaitant renouer avec les racines de l’arabe et désirant apprendre à la lire et à l’écrire. Premier souci peut-être. Je ne parle pas un mot, à part : « choukran, zebda, wouallah, haschish, yallah, wouallou, Allah, hijab, toubib, kleb, bled… » et une partie de la classe parle un peu : aïe, je me sens déjà complexée.

Première leçon pédagogique : l’hétérogénéité (de niveau oral) dans une classe de langue n’est en fait pas toujours souhaitable. Nous, profs idéalistes, voyons ça d’un bon oeil, mais pas forcément les apprenants.

Ce qu’ils ressentent ? Les débutants sont paniqués et complexés et les faux-débutants soupirent et se disent qu’ils vont s’ennuyer.

Ou alors, LA solution pour le prof c’est de vraiment savoir gérer cela.

C’est à dire placer les faux-débutants en transmetteurs bienveillants et non en étudiants qui-se-la-racontent (c’était le cas pour certains) re-aïe, nous trentenaires, sortis de l’école, nous revoici dans une situation scolaire de compétition avec ceux qui savent et ceux qui ne savent pas.

A la fin du cours, le prof nous présente deux options pour enseigner la langue arabe :

 » 1. Travailler d’abord l’alphabet et l’écrit puis après quelques mois (nous avions un cours de 2h par semaine), attaquer l’oral.

OU

2. Attaquer l’oral d’abord, puis apprendre l’alphabet et travailler l’écrit »

QUOOOOOOIIIIIIII ????

Là, je suis interdite. Pourquoi séparer l’oral et l’écrit ? Cela me semble incompréhensible de séparer ces deux apprentissages.

Il nous annonce alors sa méthode :

 » Moi je préfère d’abord vous apprendre l’alphabet, les sons, le graphisme … avant d’attaquer l’oral. Car sinon, vous allez recopier des mots et des phrases en alphabet latin et ce n’est pas une bonne habitude à prendre. Donc, pendant trois mois, on va travailler l’écrit, puis l’oral. »

Alors là, je suis encore plus interdite. J’aurais préféré, à la rigueur, commencer par l’oral puis attaquer l’écrit, avec quelques expressions dans mon bagage lexical. Et puis si on a envie de transcrire en alphabet latin, c’est notre problème, notre décision d’apprenant.e, elle est donc fort légitime.

On ne peut pas lire et écrire une langue que l’on ne parle pas.

Je suis alors « analphabète » (terme à moitié approprié, car je suis allée à l’école) et non locutrice en arabe. Le type d’apprenant le plus compliqué.

Quand, en tant que prof de FLE/alphabétisation, on rencontre des apprenants ne sachant ni lire ni parler français, on fait d’abord de l’oral. Sinon, comment aborder l’écrit avec eux ?

A la sortie de ce premier cours, je sais donc où est parlée la langue arabe dans le monde, mais moi, je ne la parle toujours pas.

La suite des cours

Il nous a demandé d’acheter un manuel, coûteux et uniquement présent dans la librairie de l’Institut du Monde Arabe. Encore une fois, je précise que je ne suis pas anti-manuel, tout dépend du type de manuel et de l’usage qu’on en fait.

A première vue, c’est un vieux manuel (je ne peux pas vous le montrer, je l’ai revendu plus tard à un autre étudiant). L’alphabet est abordé lettre après lettre et accompagné de mots avec des dessins.

Et quels mots ! « rose », « chameau » et « peigne » sont les trois mots inutiles qui me reviennent en tête.

Toutes les explications étaient faites en français bien sûr, puisque le prof nous avait bien dit que l’oral viendrait après.

// Parenthèse sur la didactique de certains professeurs d’arabe =

Plus tard, j’ai eu une discussion fort intéressante avec un autre prof d’arabe de l’école :

Moi :  » Je ne comprends pas pourquoi toutes les explications de la langue arabe sont faites en français, en cours.

Lui : Bah si, c’est impossible autrement.

– Pourquoi ?

– Parce que la langue arabe est trop difficile. On ne peut pas expliquer sa grammaire sans passer par le français.

– Et nous, profs de FLE, on fait comment ici en France avec un public multilingue ? avec des apprenants qui parlent chinois, persan, arabe, bangla, ourdou, soninké… ? On leur explique tout en français. Quand certains ont la même langue, ils s’entraident et traduisent, et le prof encourage cela. Mais le prof fait le cours en français.

– C’est pas pareil, on est en France, ils sont immergés. Et puis l’arabe est plus difficile.

– Je ne suis pas d’accord. Je trouve ça problématique de dire qu’une langue est plus difficile qu’une autre. De plus, certains étrangers ici ne sont pas immergés à la culture française et à la francophonie. »

Nous n’avons pas trouvé de consensus. // fin de la parenthèse

Pour chaque lettre, nous apprenions à la lire, la tracer, la prononcer et la contextualiser dans des mots /inutiles/.

La méthode 100% syllabique en somme

Et là, ce fût pour moi la confirmation que la méthode 100% syllabique était très difficile pour aborder la lecture et l’écriture.

A chaque cours, j’étais paniquée, pas motivée, désintéressée par ce cours pas vivant où on apprenait à lire et écrire « rose », « peigne », « chameau » …

Ainsi, je dis bien « pour aborder », c’est à dire pour commencer. Je ne suis pas contre cette méthode, elle est utile, mais pas de cette façon.

Cela me permet de dire un mot sur le MNLE, Méthode Naturelle de Lecture et d’Ecriture

C’est la méthode de lecture de la pédagogie Freinet dont j’ai déjà un peu parlé. Dans cette méthode, on commence par explorer la langue écrite en contexte, avec des mots familiers des apprenants, des termes qu’ils connaissent.

Comme je l’ai dit au début, je connaissais quelques mots arabes : « choukran, zebda, wouallah, haschish, yallah, wouallou, Allah, hijab, toubib, kleb, bled… ».

Lors du premier cours, pourquoi ne pas demander aux apprenants les mots qu’ils connaissent et les écrire au tableau ? Nous serions partis à la recherche des sons similaires dans les différents mots que nous avions déjà entendus quelque part auparavant. C’est en quelque sorte la « Méthode Naturelle d’Arabe »

J’aurais tellement aimé pouvoir faire ça.

Et le reste de l’année

Je n’ai pas abandonné (aurais-je dû ?… des fois, il faut savoir abandonner…), j’ai continué, pensant qu’en persévérant, ça finirait par rentrer… à coup de répétitions des sons et des lettres ?

Je me souviens que le prof nous demandait de lire à haute voix, chacun notre tour. Quand venait mon tour, j’étais pétrifiée, je voyais ces lettres arabes qui se bousculaient sous mes yeux et je pouvais alors comprendre (juste un tout petit peu) ce que pouvaient vivre les personnes analphabètes. Je me mettais alors à déchiffrer, laborieusement, les lettres, les unes après les autres, sans rien comprendre à ce que je lisais.

Deux cours m’ont marquée et beaucoup plu, alors parlons-en !

  • Mémoriser les chiffres arabes … enfin indiens

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Les chiffres que nous utilisons dans une grande partie du monde ont été inventés par les Arabes : 1, 2, 3, 4 …

Et actuellement, les Arabes utilisent les chiffres … indiens. C’est fou, non ?

Je me souviens avoir appris à des étudiants égyptiens qu’on utilisait des chiffres arabes, puis eux m’ont montré qu’ils utilisaient d’autres chiffres, les chiffres indiens.

Bref …

Pour apprendre à les mémoriser, on avait fait un jeu par équipe. Les chiffres indiens étaient écrits au tableau, dans le désordre, disséminés sur la surface blanche. Un.e représentant.e de chaque équipe était au tableau et devait entourer rapidement le chiffre dit par le prof.

Donc, c’était un exercice kinesthésique (debout face au tableau, ça changeait de la position assise), auditif et visuel.

On a adoré !

  • « Où est le haschich ? »

Mais que vient faire le haschich dans cet article sur l’apprentissage de l’arabe ?

Un jour, pour travailler la spatialisation, les prépositions de lieu … Le prof nous a montré un petit dessin animé montrant un jeune dealer de haschich au téléphone avec son patron /extrêmement cliché et stigmatisation pour un cours d’arabe, je vous l’accorde /

Voici une partie de leur dialogue que je n’ai jamais oubliée :

 » Heina el haschich ?

-Haschich fi el foudoukh. »

Il y avait une suite, mais je l’ai oubliée. S’ensuivait une conversation sur la position exacte de la drogue dans l’hôtel, sous le lit …

Vous avez compris ? Un peu ?

« Où est le haschich ?

-Le haschich est dans l’hôtel. »

Le prof était un peu gêné, mais moi, j’ai trouvé ça très intéressant comme choix de méthodologie /pas comme choix d’histoire, comme je l’ai dit plus haut le choix d’un dealer pour un cours d’arabe, c’était vraiment limite/.

La preuve ? Je m’en souviens encore aujourd’hui. C’est la seule chose que j’ai retenue en fait.


Fin du récit.

Ce que j’ai tristement ressenti lors de cette année de cours d’arabe c’est de ne jamais me sentir à l’aise et je n’étais pas la seule.

Je n’ai pas eu l’occasion de vivre dans cette langue, de chanter, rire, jouer dans cette langue.

Nous avons passé une année à décortiquer la langue et ce n’est pas ce qu’on attend, à priori, d’un cours de langue vivante.

Nous étions passifs et non actifs.

Ce n’est bien sûr que mon opinion, mon ressenti d’apprenante/prof et j’attends les vôtres.

La conclusion est à construire par chacun.e 🙂

Ci-dessous, plusieurs années avant ce cours d’arabe, avec l’association PIPA /Parisien.nes d’Ici, Parisien.nes d’Ailleurs/ quand on organisait des ateliers d’échanges de pratiques et de langues et que j’essayais déjà d’apprendre l’arabe.

Alice apprend l'arabe

2 commentaires sur “Comment je me suis mise à enseigner sans manuel ni programme. Chapitre IV : comment j’ai pas appris l’arabe

  1. Super ton article par contre « kleb » Ça veut dire quoi? Peut-être chien? Tu veux dire kelb alors…
    Désolée j’ai trop rigolé.
    Prof de Fle

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